Depuis la pandémie, le télétravail s’est installé durablement dans les habitudes professionnelles. Pourtant, de nombreuses entreprises imposent aujourd’hui un retour au bureau, parfois de façon rigide, suscitant incompréhension, frustration, voire démobilisation. Le débat semble porter sur le lieu de travail, alors qu’il devrait porter sur la valeur ajoutée du travailleur : sa contribution.
Travailler n’est pas seulement être présent physiquement ou connecté à une heure donnée : c’est contribuer à un projet collectif, produire de la valeur, participer aux finalités de l’entreprise. Que cette contribution ait lieu en présentiel ou à distance importe peu — ce qui importe, c’est qu’elle existe, qu’elle soit pertinente et alignée avec les attentes de l’organisation.
Les travaux de Peter Drucker, père du management moderne, insistaient déjà sur l’importance de l’efficacité individuelle : « Ce qui compte ce n’est pas le temps que l’on passe à travailler, mais ce que l’on produit. » Cette idée prend une acuité nouvelle à l’ère numérique, où les outils permettent de collaborer, partager, créer et décider sans être réunis physiquement.
La véritable difficulté que le télétravail soulève n’est pas logistique, mais managériale : comment évaluer équitablement la contribution d’un collaborateur ? En présentiel, la présence physique est souvent confondue avec l’implication. Le télétravail, lui, oblige à repenser les indicateurs de performance. Faut-il se fier au nombre de tâches accomplies ? À leur qualité ? À leur impact ? À la satisfaction des clients internes ou externes ?
Les recherches en management de la performance (notamment celles de Kaplan & Norton, créateurs du Balanced Scorecard) montrent qu’il est essentiel de combiner des indicateurs financiers, opérationnels, qualitatifs et relationnels. Cette approche est valable quel que soit le mode de travail, mais elle est encore peu appliquée de façon rigoureuse.
Tant que la rémunération reste corrélée au temps passé et non à la valeur créée, les tensions resteront vives. Car deux personnes peuvent passer 40 heures par semaine au travail – l’une en produisant des résultats notables, l’autre en se contentant de “faire acte de présence”. Ces écarts, visibles ou ressentis, nourrissent rancœurs, jalousies ou incompréhensions dans les équipes, surtout si certains bénéficient de plus de flexibilité que d’autres.
Le vrai changement de culture consisterait à sortir du paradigme de la rémunération par le temps pour aller vers une évaluation par la valeur produite. Cela suppose une redéfinition du contrat de travail : non plus “je te paye pour être là”, mais “je te paye pour ce que tu apportes”.
Des approches comme l’Holacratie ou les modèles organisationnels libérés (cf. Frédéric Laloux, Reinventing Organizations) expérimentent ce basculement. Ces organisations mesurent la contribution par l’engagement dans des rôles clairs, par l’impact observable et par la responsabilité individuelle, quel que soit le lieu d’exercice.
Repenser le travail, c’est aussi repenser le management : passer d’un management du contrôle (temps, présence, obéissance) à un management de la confiance et de la responsabilité. Cela nécessite un dialogue mature entre collaborateurs et managers sur les objectifs, les critères de contribution et la reconnaissance.
Ce changement demande de la transparence, de la clarté sur les attentes, et une capacité à différencier les régimes de travail sans créer de sentiment d’injustice. Il implique aussi d’accepter que tous les métiers ne peuvent pas être télétravaillés, mais que cela ne doit pas être un prétexte à uniformiser les pratiques.
© 2025 – Tous droits réservés à GO4HUMAN